En 1891, pour la première fois, fut organisée une course vélocipédique de Paris à Brest et retour, soit sur 1200 km. Ce fut alors un grand événement sportif, et qui valut beaucoup de gloire et quelque profit à son vainqueur. Charles Terront
A 10 ans de là, on a eu l'idée de renouveler l'épreuve et le succès a été plus considérable encore.
Le départ eut lieu le vendredi 17 août, à 4 h 53 du matin. Le grand favori de la course était Lesna : de fait, dès le début, il prenait une avance assez grande. A Lamballe (431 km), à St Brieuc (451 km) il avait sur ses suivants immédiats, Garin et Aucouturier, une avance d'une heure ; il avait deux heures à Brest, où il arrivait samedi matin à 3 h 7.
Mais à partir de Rennes, au retour, la physionomie de lutte changeait et la chance du grand favori paraissait très compromise. Le second arrivait juste une 1//2 h après son départ, puis, enflammé par les renseignements qu'on lui donnait, repartait avec une ardeur nouvelle.
A vitré, Lesna n'avait plus sur lui que 19 mn d'avance : à Laval 7 mn.
Un peu au delà de la Mayenne en pleine nuit, Lesna était rejoint. Pendant 20 km , Garin et lui marchaient roue à roue, rivalisant d'énergie désespérée. Puis une côte se présenta. Lesna était incapable de fournir l'effort nécesssaire, Garin passa, donnant un effort suprême, et disparut au sommet de la montéen dans la nuit, tandis que son adversaire, brisé, s'affalait le fossé, refusant d'aller plus loin.
Mr Delattre, le manager de Garin, l'a alimenté, d'heure en heure, au début de la course, puis de 1/2 h en 1/2 h, et enfin tous les quarts d'heure, en approchant du terme du voyage, d'oeufs délayés dans de l'eau de Vichy, que venait arroser encore un peu d'eau de Vichy pure : comme dessert quelques grains de raison noir. Chaque matin , vers 2 h une tasse de café noir, très fort, légèrement sucrée.
Le manager suivant le coureur dans une voiture, qui portait en outre 2 bicyclettes de rechange de marque La Française pour laquelle courait Garin et 2 autres cyclistes frais, pour le cas où l'entraineur qui , précédant le coureur lui "coupait le vent" serait venu à manquer.
Pas de halte, sauf aux contrôles, pour signer. En marche, toujours, de temps en temps, Mr Delatte s'apprcochait sur sa bicyclette, une éponge humide d'eau tiède suspendue à son cou, et la passait sur le visage du coureur.
Comme Garin arrivait avant l'heure où on l'attendait, escorté d'un peloton de cyclistes qui étaient allés sur la route au devant du vainqueur, le vélodrome du Parc des Princes était presque vide et Garin, en descendant de sa machine, tout ankylosé, sous son complet de tricot déchiré par places, eut l'air surpris d'un invité venu trop vite :
"j'arrive trop tôt. dit il il n'y a personne ! "
Et quand il eut signé au contrôle, saisi une gerbe de fleurs qu'on lui tendait, embrassé sa soeur, qui l'attendait, un peu inquiète, il monta en voiture et s'éloigna, vers le bon lit, vers le repos.
Il achevait la course à 8 h 53 exactement.
Il avait mis 52 h 11 mn à faire ses 1200 km, abaissant de 19 h 1/2 le temps de Terront et ayant fait une moyenne de 23 km/h.
Extrait "Les Grands Dossiers de l'Illustrations" Sport
Après 1200 km, le bouquet du vainqueur de Paris - Brest - Paris