La bicyclette et la femme

Publié le par Velo Presqu'île de Crozon

La bicyclette fut sans conteste une des inventions majeures du 19ème siècle. On ne mesure pas aujourd'hui’hui quel progrès ce fut pour l’homme de pouvoir enfin se déplacer sans l’aide d’un animal ou d’un engin mécanique et d’avoir, enfin, la liberté d’aller où bon lui semble. Pour les femmes engoncées dans des corsets et cantonnées à des taches domestiques l’arrivée du grand bi puis de la safety bike présenta une opportunité de liberté plus grande encore. Se déplacer seule et pouvoir aller où l’on souhaite sans être tributaire des autres fit goûter aux femmes un sentiment d’indépendance et de liberté que beaucoup ne soupçonnait probablement pas. Dire que la bicyclette fut véritablement une invention qui participa à l’émancipation des femmes n’est pas une vue de l’esprit. 

 

Durant les années 1890, aux Etats-Unis, la bicyclette connaît un succès phénoménal, les fabriques se multiplient, les clubs se développent ainsi que les magasins de cycles. Comme les frères Farman en France, d’autres futurs grands aviateurs, les frères Oscar et Wilbur Wright s’intéressèrent de près à la bicyclette. Ils possédaient une boutique de cycles à Dayton et ils s’inspirèrent de la technologie développée dans l’industrie du cycle pour la construction de leurs premiers avions. La bicyclette met les hommes sur un pied d’égalité, elle ne connaît pas de distinction de classe, elle est à la portée de tous. Riches et pauvres ont la possibilité de jouir de l'exercice populaire et sain de cette géniale invention.

 

 

The New Woman, (la femme nouvelle) était le terme utilisé pour décrire la femme moderne, celle qui a osé rompre avec les conventions, en travaillant en dehors de la maison, ou qui a évité le rôle traditionnel d'épouse et de mère. Celles qui étaient devenues politiquement actives dans des mouvements comme celui des suffragettes étaient très mal considérées par une frange importante de la société. Elles se considéraient comme l'égal des hommes et la bicyclette par l’autonomie qu’elle apportait, a aidé ces femmes à s'affirmer.


Avec elle, les femmes ont gagné la mobilité physique et surtout elles ont élargi leurs horizons au-delà des quartiers dans lesquels elles vivaient. Elles ont découvert un nouveau sentiment lié à la liberté de mouvement. L’époque victorienne avec ses vêtements contraignants comme les corsets, les jupes portées sur un cerceau ou les jupons, les chemises à manches longues munies d’un col haut, perturbaient les mouvements du corps. Ces tenues avaient pour objectif de masquer le corps et ses mouvements. Rien dans l’attitude des femmes ne devait s’apparenter à de la lascivité ou de la luxure.

En 1896, environ 25 à 30 % des bicyclettes achetées, sont utilisées par des femmes et la célèbre féministe Susan B. Anthony pouvait à juste titre déclarer au New York World le 2 février 1896 : “Let me tell you what I think of bicycling. I think it has done more to emancipate women than anything else in the world. It gives women a feeling of freedom and self-reliance. I stand and rejoice every time I see a woman ride by on a wheel…the picture of free, untrammeled womanhood.”

(Laissez moi vous dire ce que je pense de la bicyclette. Je pense qu'elle a fait plus pour émanciper les femmes que toute autre chose dans le monde. Elle donne aux femmes un sentiment de liberté et d'autonomie. Je soutiens et je me réjouis chaque fois que je vois une femme en promenade sur une bicyclette ... l'image de la liberté, de la féminité sans entraves).


 

La pratique de la bicyclette a fait avancer la condition féminine d’un point de vue très pratique car ces tenues Victorieuses ne permettaient pas aux femmes d’utiliser dans de bonnes conditions une machine. Bien que la culotte soit apparue quelques décennies plus tôt, c’est un véritable combat que menèrent les féministes pour obtenir que les femmes puissent utiliser le bloomers, sorte de pantalon baggy, dans leur pratique de la bicyclette. Ce changement vestimentaire n’est pas anodin, comme on pourrait le penser de prime abord, en effet il engendra après de longues batailles une modification de la perception populaire de la condition féminine.

 

Cela ne se fit pas du jour au lendemain, bien au contraire. En effet nombreux étaient ceux qui pensaient que le vélo était néfaste pour le sexe faible. Les questions posées alors étaient nombreuses et totalement ridicules : les femmes peuvent elles faire de la bicyclette ? Avec qui ? Avec quels vêtements ? Peuvent elles faire des courses ? Pire encore, dans l’esprit moralisateur et coincé de certains germait l’idée que la jeune femme à bicyclette pouvait se dérober à la surveillance de ses parents et partager des moments d’intimité avec l’élu de son cœur. Beaucoup d’hommes étaient convaincus que la bicyclette présentait une menace pour la santé physique et mentale des femmes. Leurs cheveux, leur teint, la féminité, les familles, la moralité et pire que tout, leur réputation était en cause. On a fait valoir que «le cyclisme chauffe le sang ... et est un perturbateur des organes internes. La faiblesse perçue de l'organisme féminin est le lien sur lequel se rejoignent ces arguments. De nombreux médecins ont mis leurs soit disant compétences en avant pour affirmer que le vélo provoquait l’impudeur des femmes et surtout qu’il pouvait stimuler leur sexualité ce qui dans une société machiste et puritaine n’était absolument pas acceptable. On pensait que chevaucher une selle ainsi que les mouvements des jambes nécessaires à la propulsion d'une bicyclette conduisaient à l'éveil des sens féminins. Très vite virent le jour, des selles «hygiéniques» avec un rembourrage afin que les organes génitaux de la femme aient un contact moins vif et direct avec le relief du terrain. Guidon rentrant, positionné très près par rapport à la selle sont également des positions conseillées pour diminuer le risque d'une stimulation sexuelle.

 

La France connaît à peu près les mêmes débats mais les choses semblent avoir avancées plus vite sur le vieux continent. Dès 1868, il semblerait que des compétitions avaient été ouvertes aux femmes et en 25 ans les mentalités avaient déjà profondément évoluées, si l’on en croit les propos de l’éditorialiste, Jacques Mauprat, dans l’édition du journal «Le Progrès » datée du 21 avril 1895 : « Oui, la faible femme a fait ses preuves sur la bicyclette. Elle est arrivée à des performances très satisfaisantes ; et cela non seulement sans préjudice pour sa santé… Cette introduction de la femme dans le monde du sport est une révélation pour elle et sera presque la source d'une révolution dans les moeurs de la société, en commençant par le costume et en finissant par la régénération de bien des qualités perdues par l'inactivité musculaire. »

 

A suivre ...   smiles

Publié dans Histoire du cyclisme

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